Biographie

Par Didier Stiers

Dans les manuels d’histoire de la musique en Belgique, les exemples de réussite marquante, une décennie durant, des deux côtés de la frontière linguistique et dans un genre pas précisément commercial se comptent sur les doigts d’une main. Parmi eux, Starflam, qui en deux albums à peine et une suite de concerts incendiaires aura véritablement marqué les années 2000.

«Ce plat pays qui est le mien qui lentement agonise, agonise, agonise. Ce plat pays qui est le mien qui lentement agonise, d’un trop plein de haine et de convoitise.» Certains vous diront qu’il ne leur a fallu que ces quelques rimes cinglantes : certes, elles font partie de leurs plus marquantes, mais ramener le groupe liégeois à «Ce plat pays» seul serait bien trop réducteur. Sur la scène rap, ceux qui durent sont ceux qui osent. Ceux qui n’ont pas peur de prendre des risques. Starflam s’est plusieurs fois essayé à quelque chose de différent, notamment au travers de collaborations avec des artistes pas nécessairement issus du hip hop. Appelez ça «innover», pourquoi pas ? Le groupe n’a pas eu peur non plus, comme le dit Kaer, de «flirter avec le single». Après avoir intensément réfléchi : «Et nous nous posions des questions jusqu’au bout. Mais à un moment, il faut arrêter de réfléchir : on aime bien, et c’est tout ce qui compte ! Et tant pis pour ce que les gens pensent !»

Starflam naît en 1996 sur les cendres des Malfrats Linguistiques. Un an plus tard, un premier album voit le jour, un album sur lequel figurent déjà quelques-uns de ces titres qui vont faire la différence : malins sur papier, fédérateurs en live, comme «El diablo», ou «Ce plat pays» donc, clin d’œil au Grand Jacques mais constat amer tout en même temps. En 2001, les rappeurs reviennent avec Survivant. L’album de la consécration, d’autant que le groupe où l’on compte cinq MC’s et deux concepteurs musicaux s’est déjà acquis une sérieuse réputation en live. Les scènes ont succédé aux scènes, les premières parties aussi, comme pour les trublions Beastie Boys, Assassin ou NTM. Parfois, le hasard s’en mêle et lui file un petit coup de pouce : le 19 février 2000, Rage Against The Machine doit jouer à Forest National mais la date ayant été modifiée, Asian Dub Foundation qui devait ouvrir pour les Américains se voit contraint de renoncer. Et c’est Starflam qui se charge alors de chauffer l’arène bruxelloise.

Cette discographie se complètera en 2003 avec Donne-moi de l’amour, mais l’album Survivant, son prédécesseur, y reste l’incontournable jalon, avec entre autres «La sonora» et «Amnésie internationale», salué au nord comme au sud du pays. Même le quotidien néerlandophone De Standaard se fend d’une belle chronique du disque, saluant ses solides fondations musicales comme ses prises de positions politiques. Et de rappeler à ses lecteurs qu’en cette année 2001, c’est «le» collectif hip hop à suivre, et qu’il est multiculturel dans tous les sens du terme. Il n’y a pas de secret : l’authenticité paie, et elle est sa marque de fabrique : «Nous n’avons jamais cherché à inventer des textes qui ne nous représentent pas.» Le groupe s’en donne la garantie par l’instauration d’un véritable et assez redoutable «comité de censure» ! On imagine qu’une ligne comme «Rougis, mets une bougie à ta fenêtre, et ta culpabilité viendra à disparaître» (dans «Amnésie internationale», justement) y a vite fait l’unanimité !

Mais dans «Ce plat pays» qui est le leur, l’union fait la force, c’est bien connu. Et c’est de la diversité des MC’s, de leur flow, de leurs origines et de leurs propos, que vient l’impact de Starflam. Si les textes du groupe ont un sens, si le rap lui sert d’exutoire à des situations personnelles et trouve à ce titre un écho dans son public, chacun des membres a sa plume bien à lui.

Laissons Kaer trousser le portrait de ses camarades sous l’angle lyricist… «On nous a parfois taxés de donneurs de leçons, mais quand on prend position, on est automatiquement forcé d’adopter un regard critique sur le monde et sur soi-même. Je crois que Balo amenait très justement ce point de vue.»

Pavé ? «On retrouve dans son écriture un second degré et des références plus larges que celles qui renvoient à l’univers du hip hop.» L’intéressé himself ? «Dans mes paroles, il y a un rapport avec mes origines, le Tiers-Monde et la vision tronquée de l’Occident _«eldorado», la mixité des langues qui s’accordent avec la mixité musicale que je partage avec Mig.»_ Akro et Seg ? «Akro a cette facilité déconcertante d’écrire sur n’importe quoi et dans des délais courts, tandis que Seg a une écriture politiquement impliquée et bien documentée.»

A ce stade de la lecture, vous tiquerez peut-être sur l’utilisation du temps présent, alors qu’après tout, il est question d’un best of, et d’un groupe qui a connu son heure de gloire voilà quinze ans ou presque. Ce serait cela dit oublier un tout petit détail : Starflam reste au programme (mais sans Balo, entièrement concentré sur son parcours en solo), remontant à la fois sur scène et proposant sur ce disque deux nouveaux titres. «Nous sommes les premiers rappeurs de 40 ans à re-signer avec une maison de disques», résume Fred’ALB, l’une des deux moitiés du binôme de production.

Quant à ces deux morceaux neufs, on dira peut-être d’eux qu’ils flirtent avec le single, mais ils ne s’égarent pas en d’inutiles blablas. «Plus que jamais» rappelle justement que Starflam est toujours présent, et que nos quadras n’ont pas l’intention de lâcher l’affaire. «A l’ancienne», d’autre part, c’est le petit clin d’œil qui va bien, le clin d’œil aux années 90 et à ce rap qu’on fabriquait alors encore à base de samples. Un point commun entre «Plus que jamais» et «A l’ancienne» ? Le même que celui qui lie les 16 autres titres de ce best of : la preuve que le rap, quand on le maîtrise, c’est l’art de se réapproprier la force des mots.

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